La culture de graines vue sous l’aspect des changements climatiques

La culture de graines vue sous l’aspect des changements climatiques
Pourquoi les jardiniers ne font pas leurs propres semences?

Souvent les jardiniers amateurs sont des personnes polyvalentes qui savent tout faire: travailler la terre, cultiver des fleurs, des fruits et des légumes, faire du compost et du purin végétal, réparer les outils et les machines, construire des serres, installer des systèmes d’arrosage etc., etc..

La seule chose qu’ils ne font pas d’habitude sont les graines.

Pourquoi cela?

En fait, il y a de multiples raisons pour ne pas faire ses propres graines:

  • Les semenciers professionnels produisent des graines de bonne qualité et les graines ne coûtent pas (très) cher.
  • On n’a pas assez de place dans les petits jardins familiaux pour les plantes porte-graines, ni le temps pour bien s’en occuper.
  • On ne sait pas comment faire, et les graines obtenues peuvent être de piètre qualité.
  • Il y a le problème de croisements entre les variétés et on risque d’obtenir toutes sortes de mélanges peu valables.

Par rapport à ces arguments de taille: Quelles seraient alors les raisons pour se lancer dans la culture de graines?

Parmi une multitude de raisons aux niveaux biologique, écologique, éthique, politique et économique je voudrais me concentrer sur un argument peu abordé, mais malgré tout très important. Il s’agit de la nécessité, voire de l’urgence de perpétuer la culture des variétés qui se propagent de génération en génération de façon naturelle.

De plus en plus de variétés potagères que l’on trouve chez les producteurs de semences professionnels sont des variétés hybrides F1, dont on ne peut récupérer de graines valables qu’à la génération qui suit le croisement des deux parents de la lignée paternelle et de la lignée maternelle.

Chaque année le croisement des mêmes parents est répétée; ce qui veut dire que la variété ne peut évoluer à travers le temps.

L’évolution des variétés vers une résistance naturelle

Dans le domaine de la culture naturelle de graines, pratiqué par les semenciers biologiques et les jardiniers amateurs l’argument principal (parmi bien d’autres) se trouve dans la nécessité de cultiver des variétés qui s’adaptent de façon progressive (ou évolutive) aux conditions de culture qui changent à un rythme de plus en plus rapide:

Le climat est en train de changer partout sur la planète et les conditions saisonnières sont de plus en plus instables: Au cours de la dernière décennie, j’ai pu constater dans ma région (Grand Duché de Luxembourg) le phénomène d’un printemps sec et chaud après un hiver long et froid suivi par un été humide et manquant de soleil. Ce ne sont pas de conditions favorables au bon développement des légumes.

Grâce à la culture répétée de semences au cours des années, on peut permettre aux légumes de s’adapter progressivement aux changements des conditions extérieures. Les plantes qui survivent bien à certaines conditions défavorables et qui en plus arrivent à faire de bonnes graines donneront alors naissance à des plantes de mieux en mieux adaptées. Cela correspond aux principes de l’hérédité: Les parents transmettent aux enfants leurs informations génétiques à travers les gènes véhiculés lors de la fécondation. Chez les légumes aux cycles de reproduction assez courts (un à deux ans) l’évolution peut être assez rapide. Je soulignerais encore une fois que les variétés hybrides F1 ne peuvent pas évoluer, car on multiplie toujours les graines de la même génération filiale.

Les experts de la culture biologique de semences mettent en avant de plus en plus l’argument que nous avons besoin de plantes alimentaires qui arrivent à suivre et à surmonter les changements des conditions extérieures de façon naturelle. Personnellement, je suis convaincu que les cultures protégées par des mesures purement techniques (serres, cultures hors-sol, arrosage contrôlé, engrais solubles, monocultures, produits phytosanitaires et modifications génétiques ciblées) risquent de rencontrer de plus en plus d’échecs, car on ne peut échapper à long terme aux principes de la nature. Mieux vaut se soumettre à ces principes que d’essayer de les contourner. La nature s’est développée au cours de plusieurs milliards d’années. Je pense que la meilleure technologie humaine qui soit n’arrivera pas à se défaire de la dépendance de mère nature à long terme.

La production de semences suivant l’optique d’une sélection évolutive se fait de moins en moins chez les producteurs industriels de semences. Pour les producteurs artisanaux de semences biologiques l’aspect de la résistance naturelle aux conditions extérieures défavorables est en train de devenir un critère de sélection plus important que ceux du rendement ou du goût.

Les jardiniers amateurs peuvent alors participer à ce travail important de la fortification des plantes cultivées.

Les critères de la sélection évolutive

Selon ma compréhension, je voudrais résumer les buts de la production de semences pour les jardiniers amateurs comme suit:

  • aider à maintenir les variétés traditionnelles de son pays héritées par les ancêtres
  • permettre aux plantes cultivées de s’adapter progressivement aux changements climatiques
  • aider à développer une base et une réserve de ressources génétiques indépendante de l’industrie agricole

Participer au travail de la sélection évolutive peut devenir une activité passionnante et enrichissante, dont on ne voudrait bientôt plus s’en passer. Bien sûr, il faut le vivre pour le comprendre. Toutefois, l’échec peut aussi être un compagnon de route non désiré dans les efforts de faire de bonnes graines.

En voici quelques exemples de mon propre jardin:

En 2001, l’hiver est arrivé tardivement mais brusquement. En une nuit, le temps a basculé et nous sommes passés d’une atmosphère tempérée et très humide à un gel assez prononcé. En conséquence, même les poireaux d’hiver et les choux de Bruxelles, qui normalement supportent des températures jusqu’à – 15°C, ont été « cuits » à l’intérieur par le gel, qui est arrivé d’un coup par une baisse de température abrupte.

Seuls 5% des pieds de poireaux ont survécu. Quel désastre, comme la parcelle comptait environ 1000 pieds!

Toutefois, ceux qui avaient survécu à ce phénomène de sélection naturelle, m’ont bien servi de porte-graines, portant aussi l’espoir d’une évolution vers une résistance au gel subit, qualité qui pourra être transmises aux futures générations de poireaux.

Les céleris raves de l’année 2011 ont séchés avant de faire de bonnes graines à cause du manque d’eau qui persistait déjà depuis le printemps. Parmi les 50 pieds plantés initialement, seulement trois portaient des semences valables. Quelle perte! Et quel gain en même temps, car les survivants donneront naissance à des plantes un peu moins sensibles à la sécheresse.

De même pour les oignons qui ont du mal à supporter un printemps trop chaud et trop sec. Même si on les arrose régulièrement, ils ont tendance à commencer à se faner bien déjà au début du mois de juillet se croyant déjà dans la chaleur estivale leur donnant l’impulsion d’arrêter leur développement végétatif. Les oignons qui grossissent malgré ces conditions défavorables seront alors choisis comme porte-graines.

J’aurais encore bien d’autres exemples à citer. Leur point commun est la compréhension de la nature et du principe de l’évolution: Les faibles meurent et les forts se propagent. Ainsi, la nature peut toujours prospérer. Je pense que nous devons prendre la nature comme modèle en ce qui concerne la production de nos aliments, qui commence par les graines!

Les légumes dotés d’une bonne force vitale et naturellement résistants à toutes sortes de phénomènes défavorables donneront des aliments de qualité élevée nous permettant de rester en bonne santé à long terme.

D’autres défis à relever pour les plantes cultivées

Actuellement, ce n’est pas seulement le climat qui est en train de changer. Aussi au niveau des maladies et des animaux nuisibles on peut observer des phénomènes de changement. Les herbes sauvages changent aussi ainsi que la nature biochimique des sols. Bien entendu, tous les changements ont à la base les mêmes causes: la pollution  et la destruction de la nature par les êtres humains. Selon mes expériences personnelles, je constate par exemple une prolifération de plus en plus poussée de limaces et de fourmis ainsi que de maladies virales chez les plantes.

Suivant la philosophie d’une agriculture naturelle, je ne m’acharne pas à vouloir combattre ces phénomènes désagréables d’un point de vue de culture. Et si les maladies et les animaux nuisibles étaient envoyés par mère nature pour restaurer un équilibre perdu au niveau du sol? C’est une théorie déjà favorisée jadis par Sir Albert Howard, botaniste britannique en Inde pendant les années 1930 et 40 (voir son livre « Mon testament agricole »).

Dans ce sens, une fois que mes légumes sont atteints de maladies virales, comme par exemple les haricots, les pois ou les concombres, au lieu de détruire les plantes les unes après les autres au rythme de la propagation du virus, je laisse les plantes pousser (certaines meurent d’autres se rétablissent), je récolte les graines et je répète ce procédé sur des années consécutives jusqu’à ce que la variété ait « fait la paix » avec le virus, soit en devenant résistante, soit en l’intégrant dans son code génétique (ou les deux!).

D’ailleurs, de nombreux chercheurs de nos jours propagent le concept que les virus ne sont pas seulement des microorganismes pathogènes et dangereux, mais aussi des transmetteurs d’informations génétiques susceptibles de faire avancer l’évolution des espèces…

Des graines de bonne qualité

Avec une bonne compréhension des mécanismes de la sélection naturelle comme base, on peut aussi facilement saisir les facteurs nécessaires pour un bon développement des graines.

Les graines sont en quelque sorte les bébés de la plante-mère. La mère doit pouvoir bien les nourrir pour qu’elles puissent bien se développer. La graine est constituée d’une enveloppe, d’une réserve nutritive et de l’embryon – une plante en miniature. Pour que l’embryon puisse bien se former à l’intérieur de la graine, il lui faut de la nourriture. Cette nourriture est fournie par la mère. Pour nous, les êtres humains, c’est exactement la même chose. Pour véhiculer donc les nutriments, la plante mère a surtout besoin d’eau. C’est là où le jardinier souvent doit donner un petit coup de main à la plante-mère, notamment en bien l’arrosant par temps secs. Normalement c’est en été quand les graines se forment et grandissent que la mère ne doit pas sécher, mais nous avons vu que ce risque peut aussi déjà exister au printemps …

La plupart de mes laitues des années 2009, 10 et 11 ont malheureusement séché avant même de fleurir. Les bourgeons fanés et vides ont donné un triste spectacle. Le peu de graines que j’ai pu récupérer me sert maintenant à poursuivre ma démarche de sélection évolutive, car les changements climatiques sont loin d’être arrivés à leur apogée…

Je suis conscient que ces lignes risquent de rebuter les jardiniers à faire leurs propres graines plutôt que de les motiver à commencer leur culture de façon méthodique. Toutefois, ceux qui arrivent à lire entre les lignes vont bien comprendre que la situation générale nous incite tous à nous intéresser de plus près de ce sujet! Si les légumes ne poussent plus comme avant et les graines s’obtiennent de plus en plus difficilement, c’est là la meilleure raison pour s’appliquer davantage dans la culture de légumes et de semences!

D’ailleurs, nous savons tous que les agriculteurs et les jardiniers ont souvent tendance à exagérer un peu. Bien sûr, il y a des années où certains légumes ne poussent pas bien, mais chaque année il y a aussi des légumes qui compensent les pertes en se développant de façon extraordinaire.

Une bonne chose concernant les semences est le fait que nous pouvons les conserver pendant plusieurs années, ce qui nous donne une réserve au cas où une à plusieurs récoltes suivantes ne seraient pas bonnes.

 

La bonne conservation des graines

En ce qui concerne la conservation de nos semences, on doit préciser qu’après la récolte il faut d’abord bien les faire sécher; après on les met dans des sachets sur lesquels sont marqués (au moins) le nom de la variété et l’année de la récolte. Les sachets, quant à eux, peuvent être conservés dans des pots de confiture qui éviteront alors que les graines reprennent de l’humidité. Les pots finalement sont conservés dans un endroit obscur et frais. Personnellement, je garde mes semences dans un vieux congélateur qui ne fonctionne plus. Sa bonne couche d’isolation et les joints de la porte permettent de garder une température basse constante et évitent en même temps l’introduction de l’humidité.

Ainsi les graines peuvent garder un bon taux de germination pendant de nombreuses années.

Je conclurais cet article en recommandant aux lecteurs jardiniers intéressés par la culture de semences légumières de lire mon livre apparu chez Nature et Progrès. Cet article m’a permis d’aborder les changements climatiques comme raisons d’urgence pour la culture naturelle et évolutive de semences. Le livre est plus porté sur les aspects pratiques du comment faire ses graines.

Frank Adam
Maître maraîcher et chargé d’éducation aux Lycée Technique Agricole
Luxembourg, septembre 2011

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